Le "trauma" est une rencontre avec le réel de la mort, la sienne ou celle d'un proche. Le sujet est confronté à une situation d'horreur ou d'impuissance qui le met face à la potentialité de sa propre mort ou à la réalité effective de la mort d'un proche (en tant que témoin). Soudainement, la mort n'est plus seulement un mot ou une notion, elle devient réalité.
Cette rencontre avec le réel de la mort déborde les défenses de la victime et fait effraction dans son appareil psychique. Se crée ainsi une image traumatique de l'événement, qui pénètre violemment l'enveloppe protectrice de la psyché et vient se loger au cœur du cerveau limbique, siège de nos émotions.
Ainsi, chaque fois que l'image traumatique surgit à la conscience du sujet, sous forme de flashs, de cauchemars ou d'illusions, elle ravive dans le présent, l'ensemble des sensations et des émotions éprouvées durant l'événement traumatique. La victime se retrouve de nouveau envahi par la panique, la détresse physique et psychologique ; tout se passe comme si la victime revivait, dans le présent, l'événement traumatique. Son rythme cardiaque s'accélère, sa respiration se raccourcit, des sensations de chaleur, la peur de mourir, etc...
"Le monde devient un champ de mines"
L'image traumatique peut surgir de manière intrusive, sous forme de réminiscences ou de pensées intrusives, mais elle peut également être activée par des éléments de notre environnement. Certains contextes ou certains objets de notre quotidien vont résonner, directement ou indirectement (par chaîne associative) avec des éléments de l'événement traumatique et vont, de ce fait, activer l'image traumatique. Ainsi "réveillée", celle-ci s'exprimera sous forme de flash-backs ou de "photographies" réactivant également l'ensemble des manifestations physiques et émotionnelles éprouvées pendant le trauma. La victime aura alors le sentiment de revivre l'effroi de cette rencontre avec la mort.
Le monde peut ainsi devenir pour le sujet traumatisé un véritable champ de mines ! Certains endroits, certaines situations, certains bruits... vont agir comme des mines ou des détonateurs qui risquent d'enclencher la bombe logée dans notre appareil psychique.
Une rue piétonne, un carrefour, une voiture rouge, la nuit, le bruit de la pluie contre la fenêtre, un bruit sec et soudain, l'odeur d'un pétard, une silhouette... Ce qui était auparavant anodin et insignifiant, devient un activateur de la détresse péri-traumatique.
La victime va alors s'organiser pour se protéger et mettre en place des stratégies d'évitement pour échapper à ces mines disséminées autour d'elle. Elle va développer des stratégies pour repérer, anticiper et éviter les lieux ou les situations, qui lui rappelleraient d'une façon ou d'une autre l'événement traumatique. Ainsi, une jeune femme changera de chemin pour rentrer chez elle, évitant toutes les rues étroites et sombres, un autre évitera de s'approcher des distributeurs automatiques de banque, un autre encore ne pourra plus rentrer dans une grande surface .
Tous ces lieux et ces situations sont perçus par le sujet traumatisé comme des situations potentielles de danger, avec la croyance que l'événement traumatique va se reproduire.
Sa représentation du monde change ; le danger devient omniprésent, le monde devient imprévisible. Il lui faut se protéger en permanence, d'où des symptômes d'hypervigilance et d'hyperactivation neurovégétative. La personne est en attention vigilante permanente, à l’affût du moindre bruit, du moindre signe qui pourrait activer l'image traumatique et laisser supposer un danger de mort autour de lui.
Une désillusion brutale des croyances fondamentales
D'un point de vue global, l'individu "sain", qui présente un équilibre psychique cohérent et stable, et équilibré", qui a grandit et s'est construit dans un environnement structuré et contenant, organise son rapport au monde autour de trois croyances fondamentales :
la croyance en un monde bon et bienveillant,
la croyance en un monde juste et logique,
la croyance en sa valeur personnelle .
Bien évidement, les sujets ayant eu un parcours de vie difficile, parsemé de violence ou d'injustice, possèdent un système de croyances d'ors et déjà modifié.
Ces croyances sont profondément inscrites en chacun de nous et influencent notre regard sur le monde. Elles conditionnent nos interprétations et déterminent le sens que nous donneront aux événements, aux réponses et aux comportements autour de nous. Enfin et surtout, elles influencent nos attentes dans notre rapport aux autres et au monde en général.
La première croyance, "la croyance en un monde bon", est une représentation plutôt bienveillante de la nature humaine. Il s'agit d'une représentation dans laquelle les autres sont perçus essentiellement comme des êtres bons, gentils, bien intentionnés. Cette croyance suppose une perception positive du monde, dans laquelle les événements positifs sont plus nombreux que les événements négatifs.
La seconde croyance, "en un monde juste et logique", s'appuie sur une logique de mérite. Elle suppose qu'on obtient ce qu'on mérite dans la vie ; si nous sommes une bonne personne et que nous agissons le bon autour de nous alors nous méritons et obtiendrons du positif et du bonheur. A l'inverse, les personnes malveillantes récolterons de leurs agissements du mal, des événements négatifs, comme des punitions de la vie.
Enfin, la troisième croyance fondamentale, "la croyance en sa valeur personnelle" fait référence aux sentiments positifs de la personne envers elle-même : sa perception de soi comme une personne de valeur, aimable et compétente.
L'événement traumatique, par sa violence et sa soudaineté fait effraction dans l'appareil psychique de la victime. Le sujet est confronté à la réalité potentielle (ou effective) de la mort. Cette rencontre avec le réel de la mort vient fracturer son système de croyances et transformer son rapport au monde. Tout d'un coup, le tissu organisateur sur lequel l'individu s'était construit et à partir duquel il regardait et interprétait le monde est ébranlé.
Le monde, malheureusement, n'est pas aussi bienveillant qu'il ne le pensait. Il existe des personnes ou des situations qui sont néfastes et destructrices, sans qu'aucune raison ne puisse légitimer ces atrocités. Le monde n'est pas non plus aussi "juste" qu'il voulait le croire ; la vie n'est pas organisée autour d'une logique de justice, elle n'est pas contrôlable ni maîtrisable, il ne suffit pas de faire du bien pour être protégé du mal. Les personnes qui adhèrent fortement à cette croyance seront en grande souffrance après un événement traumatique, elles ne pourront comprendre, dans leur système d'interprétation, pourquoi un tel événement leur est arrivé, à elles ? Elles se demanderont ce qu'elles ont fait pour mériter ça... L'événement restera incompréhensible parce qu'incohérent avec leur croyance. Enfin, l'expérience traumatique provoque un changement important sur le sentiment de valeur personnelle. La victime ne se perçoit plus comme une personne bonne, aimable, compétente et rassurée. Elle se ressentira après traumatisme, quelqu'un de confus, d'incompétent, de fragile et de dépendant. Elle pourra également se percevoir comme quelqu'un de lâche ou de coupable ; son sentiment de valeur personnelle sera très profondément perturbé.
Le trauma vient anéantir le système de croyances de la victime : sa désillusion sur le monde est brutale.
Le sentiment d'invulnérabilité personnelle
Ces trois croyances déterminent une dernière croyance encore plus fondamentale, qui est la croyance en notre sentiment d'invulnérabilité personnelle.
La mort est jusqu'alors qu'une simple connaissance, un concept intellectualisé qui n'a aucune réalité émotionnelle ni affective. Nous sommes confrontés au quotidien, à travers les journaux, les médias, les séries télévisées à des scènes d'horreur, des catastrophes, des agressions, etc... La mort est présente sous toutes ses formes. Nous sommes ainsi exposés, à distance, à l'horreur et à la mort, et cette médiatisation renforce, paradoxalement, notre sentiment que ces maladies, ces attentats, ces actes de barbaries, ces viols, ne sont que "virtuels", éloignés. Nous sommes conscients de leur existence certes, c'est à dire qu'intellectuellement, nous savons que cela existe, mais par l'intermédiaire du média, nous restons distanciés de l'horreur et de la mort.
L'horreur reste éloignée, comme extérieure à notre environnement. Nous nous protégeons ainsi de nos angoisses de mort et gardons le sentiment diffus que "cela n'arrive qu'aux autres". Nous préservons notre sentiment de sécurité et cette confiance interne profonde, en maintenant à distance, loin de notre univers, et dans la sphère cognitive, les risques de vivre de tels événements destructeurs.
Cependant, lorsque la réalité de la mort surgit devant soi, dans toute sa puissance émotionnelle, la victime fait l'expérience terrorisante de sa propre fragilité et de sa vulnérabilité. Le traumatisme annule cette croyance d'invulnérabilité personnelle et rend à la victime son caractère mortel. Il génère alors un sentiment intense de détresse, de vulnérabilité et d'impuissance face à la réalité de la mort.
"Le trauma modifie notre rapport au monde"
Dans la confrontation au réel de la mort, le "trauma" vient modifier en profondeur le rapport au monde de la victime. Il transforme son regard, sa perception et son interprétation du monde qui l'entoure. Il influence ses choix et ses comportements, modifie ses attentes et ses croyances en l'avenir. Le monde ne fonctionne plus avec les mêmes règles, avec les mêmes codes qui sécurisaient la victime jusque-là. Il lui faut réapprendre à vivre dans un monde nouveau et reconstruire son sentiment de sécurité.
Le travail thérapeutique aide la victime à se rassembler et à cicatriser ses blessures psychiques et émotionnelles. Il l'accompagne dans ce long processus de changement et de redéfinition de ses valeurs et de ses croyances. Chaque victime réorganise petit à petit son rapport au monde en s'appuyant sur une nouvelle lecture des événements qui l'entoure. Les cognitions évoluent, les interprétations se modifient, et peu à peu, la victime s'apaise... Chacun a alors l'occasion d'interroger son système de priorités et de réorganiser sa pensée, ses choix, ses réponses, son temps autour de nouvelles priorités, plus ajustées à son nouveau système de valeurs et de croyances... Ce qui faisait sens, n'est plus ; il faut penser différemment, envisager les choses autrement, soi-même, les autres, le monde... Se reconstruire, se réorganiser.
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