Aujourd'hui, le langage courant a adopté les termes de "stress" et de "traumatisme", dénaturant leur signification première et banalisant leur utilisation. Nous entendons régulièrement des personnes se dire stressées ou traumatisées, dans une confusion totale de la situation en jeu. Ainsi, une telle se dira "traumatisée par sa dernière relation amoureuse", un autre "avoir été traumatisé par une scène d'horreur à la télévision", ou encore un tel se définir comme "hyper-stressé par son travail".
Notre vocabulaire quotidien a emprunté ces notions de "stress" et de "trauma" sans en identifier leur sens ni en préserver leur différence. Aujourd'hui, confondues et associées dans leur utilisation, il est nécessaire de leur réattribuer leur propre définition et de différencier les conditions situationnelles dans lesquelles elles s'appliquent.
Le stress, un processus bio-neuro-physiologique
A son origine, le mot "stress" appartient avant tout au langage neurophysiologique ; il s'agit d'un "phénomène essentiellement physiologique, ou neuro-physiologique réflexe, qui met immédiatement l'organisme agressé en état d'alerte et de défense" (L. Crocq).
Peu à peu, cette notion a intégré également des caractéristiques psychologiques, permettant de définir le "stress", comme "l'ensemble des réactions physiologiques et psychologiques de l'organisme humain (ou animal) face à une menace ou une situation imprévue".
Lorsque la personne est exposée à une situation de danger, comme une agression ou une menace soudaine mettant en jeu sa vie ou son intégrité physique (ou mentale), elle manifeste immédiatement, de façon réflexe, une réaction d'alarme et de défense pour faire face à cette agression de l'environnement. Son organisme met en place un ensemble de réactions physiologiques, neurologiques et psychologiques lui permettant de se mobiliser et d'organiser sa défense face au danger.
Ces différentes opérations de l'organisme s'expriment de manière multiple, sous forme de symptômes physiques gênants et coûteux en énergie, parmi lesquels :
- une accélération des rythmes cardiaques et respiratoires,
- une élévation de la tension artérielle,
- des sensations de chaleur, pâleur, frissons, spasmes viscéraux,
- une sensation de "boule dans la gorge", un "nœud dans l'estomac", une envie impérieuse d'uriner...
Les réponses neuro-physiologiques se doublent d'une mobilisation psychologique, qui a pour effets principaux, de focaliser l'attention sur la situation de danger, en éliminant toute autre forme de pensées ou de préoccupations, de mobiliser les fonctions cognitives (l'attention, la concentration, l'évaluation et le raisonnement, et de faciliter la prise de décision et la mise en action.
La réaction de stress est très coûteuse en énergie, à la fois physiquement et psychiquement : d'une part, elle consomme les réserves hormonales et glucidiques de l'organisme, et d'autre part elle épuise les ressources psychiques et cognitives, d'où la sensation d'épuisement dans l'après-coup (sensation d'être "vidé"). Son efficacité ne peut donc durer qu'un certain temps...
Heureusement, la réaction de stress fait réponse à des stimulations extérieures perçues comme menaçantes, et durera tout le temps de l'exposition au danger ; elle se prolongera tant que la menace sera présente. Une fois, le danger évité ou éliminé, la personne pourra retrouver son fonctionnement habituel et sa sérénité. La souffrance psychique s'estompera au bout de quelques heures ou quelques jours ou semaines, mais l'appareil psychique reprendra sa forme initial et son fonctionnement "normal".
Ainsi, la réaction de stress est avant tout une réaction normale, utile et adaptative , permettant de faire face à une situation de danger.
Le trauma : une effraction psychique
Le traumatisme psychique ou trauma se définit comme un "phénomène d'effraction du psychisme, et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d'un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l'intégrité (physique ou psychique) d'un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur". (L. Crocq)
Lorsque l'individu est exposé à une situation de danger prolongée ou extrêmement dangereuse ou violente, l'afflux d'informations et d'excitations peut déborder ses ressources cognitives et émotionnelles, et empêcher la mise en place d'un système de défense approprié. On parle alors de "réaction de stress dépassé" (nous les développerons dans un prochain article).
Face à l'horreur, le sujet ne peut plus réagir efficacement, sa pensée est figée et son système défensif est fracturé. La menace extérieure perfore l'appareil psychique et pénètre à l'intérieur pour s'y loger durablement, sous la forme d'une image traumatique. Elle restera gravée, telle quelle, au détail près.
Le trauma , une rencontre avec le réel de la mort
L'image traumatique correspond à l'image incrustée de la rencontre du sujet avec la réalité de mort.
Dans une situation extrême, l''individu se trouve soudainement confronté à réalité potentielle de sa mort (ou celle d'un proche) : une agression, un accident, une menace de mort avec arme... L'événement est alors vécu dans l'effroi et dans l'horreur, dans la suspension de la pensée, l'incompréhension de la situation, et avec des sentiments d'impuissance et d'abandon. Il s'agit d'un vécu traumatique. Il y a effraction psychique et sidération de la pensée.
"Tout d'un coup, j'ai eu un moment de vide , j'ai cru que j'allais mourir",
"J'ai senti ses mains se serrer autour de mon coup, j'étais sûre que j'allais mourir à ce moment là".
L'effraction psychique, caractéristique du traumatisme, provient ainsi, d'un vécu de mort psychique qui surprend et envahit l'individu dans une situation qui déborde ses capacités défensives. L'élément de surprise et la brutalité du choc sont des éléments fondamentaux ; ils conditionnent l'intrusion de l'image mortifère.
Aussi, le trauma ne peut se constituer que dans la présence physique du sujet (en tant que victime ou témoin). Un récit, aussi terrible soit-il, des images aussi difficiles soient-elles, ne peuvent générer un vécu traumatique. Ils peuvent montrer la mort ou l'évoquer, mais ils ne sont pas le réel de la mort. Ils ne sont pas la rencontre avec la réalité de la mort. Il n'y a pas d'effraction psychique mais une élaboration fantasmatique autour de la mort, certes génératrice d'angoisses importantes.
Les situations d'agression ou de menace ne sont pas toutes traumatisantes ; l'effraction traumatique dépend de la brutalité et de leur soudaineté, des forces physiques qu'elles véhiculent et de leurs enjeux (la vie, l'intégrité physique, psychique, la santé...). L'effraction dépend également des ressources du sujet et de son état physique et psychique au moment des faits.
La notion de trauma est donc relative , ce qui fait traumatisme pour l'un, ne fera pas automatiquement traumatique pour un autre ; de même ce qui aurait pu être traumatique pour un sujet à un instant T, aurait pu ne pas l'être à un autre moment de sa vie.
Enfin, à la différence des situations de stress, dans le vécu traumatique, la détresse ne s'estompe avec la disparition de la menace. L'image traumatique s'est incrustée durablement à l'intérieur de l'appareil psychique et va causer des perturbations dans le fonctionnement de ce dernier. S'en suivra des symptômes post-traumatiques nombreux, parmi lesquels nous pouvons citer : les symptômes de reviviscence et de répétition, des symptômes d'évitement et d'hyperactivation neurovégétative.
(Nous développerons l'ensemble des symptômes post-traumatiques dans une prochain article).
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